ANTHROPOMORPHIQUE (ARCHITECTURE)

ANTHROPOMORPHIQUE (ARCHITECTURE)
ANTHROPOMORPHIQUE (ARCHITECTURE)

ANTHROPOMORPHIQUE ARCHITECTURE

De tout temps les architectes ont senti qu’il existait des affinités autres que d’usage entre les édifices et les hommes. La critique architecturale l’exprime confusément qui parle de l’ossature, des membres, de la tête ou de l’épiderme d’une construction. Mais cette impression diffuse a parfois suscité chez les architectes la volonté expresse d’établir des rapports analogiques entre les édifices et le corps humain. Sous une grande diversité de formes, ces rapports peuvent être ramenés à deux types: d’une part des ressemblances morphologiques apparentes qui affectent surtout les supports (cariatides, atlantes, statues-colonnes médiévales) et leur terminaison (termes); d’autre part des analogies plus abstraites et latentes qui requièrent une exégèse.

Vitruve, source fondamentale en ce domaine, apprenait à ses lecteurs de la Renaissance l’origine des cariatides: des statues féminines dans les monuments publics grecs commémorant la défaite des habitants de Carya, coupables de s’être alliés aux Perses et dont la fonction de support exprimait visuellement l’asservissement. Les cariatides de l’Érechthéion d’Athènes en sont l’exemple le plus célèbre. Le motif de la cariatide connut un succès exceptionnel dans l’architecture du XVIe siècle, bâtie, peinte (décors muraux ou motifs de tableaux, décors de spectacles et de fêtes officielles), dessinée et gravée (traités d’architecture, recueils de modèles architecturaux). La «façade aux cariatides» gravée par Marcantonio Raimondi semble avoir inspiré la Tribune des cariatides de Jean Goujon au Louvre. L’ornemaniste J. Androuet Du Cerceau fournit un répertoire complet des formes de cariatides: nues ou drapées, avec ou sans bras, en pied ou le bas du corps engainé, portant une corbeille sur la tête (canéphore) ou divers attributs; il les applique à des façades, des lucarnes, des piédroits ou manteaux de cheminées, des fontaines et des puits, des tombeaux, des meubles, des pièces de vaisselle orfévrée ou des bijoux. L’atlante (d’Atlas soutenant le monde), qu’il soit vieillard, barbare, satyre, esclave ou portefaix, en est la contrepartie masculine et envahit également le décor architectural, supplantant les cariatides maniéristes dans les monuments baroques. À l’exception des statues-colonnes sculptées au portail des églises et représentant des figures bibliques (rois de Juda, prophètes...), les formes humaines de l’architecture médiévale furent le plus souvent marginales et grotesques: gargouilles, figures agenouillées en consoles, modillons, clés d’arcs ou de voûtes en forme de têtes. C’est la Renaissance qui a vraiment inauguré une époque de jeux sur les métamorphoses possibles de l’architecture avec ses grottes artificielles pleines de silhouettes (jardins Boboli à Florence), ses gueules monstrueuses avalant une porte (palais Zuccari à Rome) ou un foyer (palais Thiene à Vicence). L’architecture de la seconde moitié du XIXe siècle, dans les grandes métropoles, comme Paris, recueillera cet héritage en multipliant atlantes et cariatides sur et dans des édifices de prestige (Opéras, théâtres, tribunaux, gares, banques, etc.), sans oublier les deux cents fontaines Wallace.

L’homme, créature la plus parfaite parce que formée à l’image de Dieu, microcosme reflétant le macrocosme, apparaît comme le modèle à suivre dans une architecture en quête de perfection, et ce déjà chez certains auteurs médiévaux. Suivant ici encore Vitruve et ses exposés sur les proportions idéales du corps humain et sur l’origine et la signification des ordres antiques (le dorique massif et masculin, le corinthien élancé et féminin, etc.), les architectes de la Renaissance ont développé des recherches sur les mesures et les ordonnances idéales des édifices. Pour Francesco Giorgi (consulté en 1534 à propos de San Francesco della Vigna à Venise), l’analogie à instaurer repose sur les rapports harmoniques établis par Pythagore, clés de la mesure de toute chose dans l’univers. Pour Leon Battista Alberti (env. 1450), c’est dans sa distribution et composition, sa symétrie axiale que l’édifice doit ressembler au corps humain. Francesco di Giorgio, dans ses traités manuscrits (env. 1480), a multiplié les dessins où il inscrit le corps humain dans le plan ou la section d’une église ou la tête dans un chapiteau. Filarète (env. 1460), comme plus tard Vasari (éd. 1568), réclame un décor plus riche sur la façade, visage de l’édifice et donc sa partie la plus noble, et des ouvertures correspondant à la bouche et aux yeux. Michel-Ange affirme dans une lettre que celui qui n’est pas bon connaisseur du corps humain ne peut rien comprendre à l’architecture, qu’il conçoit comme un organisme plein de forces et de tensions à équilibrer.

Ainsi dans le premier cas, l’architecture se fait imaginative et ludique, se fondant sur la licence poétique de créer des métaphores; dans le second, s’attachant essentiellement aux édifices sacrés, elle se veut scientifique, fondée sur les mathématiques conçues comme langage ultime de l’univers, sur la philosophie antique (l’homme, résumé du monde) et la théologie chrétienne (le monde et l’homme œuvres du Divin Architecte). À travers ces deux types de réalisations ou de rêves, c’est la conception même du rôle de l’architecte qui est en cause. Ce qui explique que les formes anthropomorphiques de l’architecture aient été au centre des débats humanistes de la Renaissance, c’est moins le fait que l’homme y était pris, au pied de la lettre, pour mesure de toute chose, que le fait qu’elles manifestaient une divergence entre les vitruviens orthodoxes, de Bramante à Palladio, soucieux de respecter les ordres, leurs agencements et proportions canoniques, et les architectes désireux d’exprimer, de Filarète à Jules Romain, leur «haute fantaisie» d’artistes, selon l’expression d’un poème de Michel-Ange.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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